Jaunisse de la betterave : encore du chemin pour aboutir
Alors que la filière betteravière a fait face en 2020 à une grave crise, en quelques mois, la recherche est parvenue à plusieurs avancées. Mais il faudra consolider les connaissances acquises pour rendre ces solutions plus opérationnelles.
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Depuis le début des années quatre-vingt-dix, les pucerons vecteurs de la jaunisse sur betterave étaient maîtrisés par les néonicotinoïdes. En septembre 2018, ces insecticides ont pourtant été retirés dans le cadre de la loi pour « la reconquête de la biodiversité ». « En 2020, la situation a été catastrophique pour la filière, avec des pucerons et de la jaunisse dans toutes les parcelles », rappelle Alexandre Quillet, président de l’ITB (Institut technique de la betterave).
La première réponse a été de permettre l’emploi des néonicotinoïdes en traitement de semences le temps de trouver des solutions. Cela n’a été possible que durant deux campagnes, car l’arrêté de janvier 2023 de la Cour de Justice de l’Union européenne a jugé illégale cette dérogation. En parallèle, un budget de 20 millions d’euros sur trois ans a été alloué au Plan national de recherche et d’innovation (PNRI). Signé en septembre 2020, il a eu pour but de trouver des alternatives. Vingt-trois projets ont été retenus et ont réuni quatre-vingts chercheurs. Pour évaluer en plein champ les différentes solutions du PNRI, plus d’une soixantaine de parcelles d’agriculteurs ont aussi été mobilisées chaque année dans le réseau de Fermes pilotes d’expérimentation (lire le témoignage ci-contre).
« La situation étant exceptionnelle, il a fallu une démarche innovante : structurer un nouveau modèle de recherche en faisant travailler ensemble les recherches fondamentales et appliquées, le public et le privé, la science et l’économie », a résumé Alexandre Quillet, au colloque de restitution du PNRI le 4 juillet 2024. Les objectifs n’étant toutefois pas totalement atteints, le PNRI-C (C pour consolidé) a été proposé fin 2023. D’une durée de trois ans, il est doté de près de 4 millions d’euros de fonds publics.
Si le dispositif des Fermes pilotes d’expérimentation a été renouvelé, un Plan d’action a aussi été lancé dans l’Eure-et-Loir. Il s’agit en effet de la seule zone où les productions de betteraves sucrières et de porte-graines cohabitent, et où des dégâts ont été invariablement observés au fil des années (voir l’infographie page 48). « En 2024, peu de parcelles ont été touchées à 100 % mais elles étaient systématiquement à proximité immédiate de betteraves porte-graines jaunes cet hiver », constate l’institut.
Collaboration avec la Fnams
En outre, ce printemps, Tereos et Cristal union ont accompagné les betteraviers de la zone afin de mettre en place, sur soixante-quatorze parcelles, des solutions testées dans le PNRI en complément de leur protection aphicide classique. Et la Fnams (Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences), devenue partenaire du projet, va expérimenter les solutions les plus prometteuses dès cet automne sur les porte-graines.
« Nous leur communiquons la cartographie de l’ensemble des parcelles sucrières pour, si possible, qu’ils éloignent les porte-graines des nôtres. En retour, la même démarche sera réalisée de notre côté au printemps 2025 », fait savoir Fabienne Maupas, directrice du département technique et scientifique de l’institut. Il s’agit de baisser la pression virale en mettant en place tous les moyens possibles pour que les deux filières continuent de cohabiter sur le même territoire.
Si la solution unique dont agriculteurs et industrie sucrière pouvaient rêver n’a pas été trouvée pour le moment, le PNRI a permis d’étendre les connaissances. Notamment au sujet des dynamiques du couple pucerons/virus (lire l’encadré) et des réservoirs viraux. Les premiers résultats sur l’étude des virus et réservoirs viraux montrent par exemple que certaines plantes non cultivées, comme la phacélie, hébergent Myzus persicae et certains virus provoquant la jaunisse. « L’idée est de voir dans la suite du projet s’il existe d’autres réservoirs et d’évaluer à quelle distance les pucerons peuvent aller », souligne Fabienne Maupas. Cela permettra notamment de mieux jauger la taille des zones tampons à mettre en place entre betteraves sucrières et porte-graines.
OAD déjà disponible
Le projet a aussi permis de construire un modèle déjà employé ce printemps. Il s’appuie sur les températures hivernales de janvier et de février pour renseigner les dates d’arrivée des pucerons, leur abondance et la durée du vol. « Et à l’issue du PNRI-C, l’objectif est d’aboutir à une version qui intégrera la prévision du risque et les règles de décision pour choisir les solutions à utiliser », indique la spécialiste. À noter également, le lancement cet hiver d’une campagne de mesures prophylactiques : la gestion des cordons de déterrage et des repousses de betteraves pour prévenir le développement de viroses.
Les plantes compagnes, principalement l’avoine et l’orge, font partie des leviers prometteurs. Elles réduisent les populations de pucerons de 30 à 60 %. « L’efficacité dispose d’un intervalle de confiance assez large. Et en termes de réduction de symptômes de jaunisse, c’est plus important. Il n’y a pas que des avantages : c’est coûteux et, mal conduites, les plantes compagnes peuvent concurrencer la betterave. Nous ne sommes donc pas encore capables de construire des règles de décision justifiant des conditions pour les implanter ou pas. Ce sera étudié dans le cadre du PNRI-C », poursuit Fabienne Maupas.
Pour le reste, beaucoup de produits de biocontrôle ont été étudiés. Les granulés Agriodor sont des médiateurs chimiques avec trois actions : répulsive (en baissant le nombre de pucerons ailés arrivant au champ), perturbatrice de la reproduction et perturbatrice de l’alimentation. L’ITB précise que la réduction des populations de pucerons va de 20 à 60 %. « En ajoutant Agriodor à une protection aphicide, on augmente en moyenne de 24 % le nombre de plantes sans pucerons par rapport à un programme classique », complète Camille Delpoux, chez Agriodor. La première année de commercialisation est prévue en 2025 et devrait s’appuyer sur l’obtention d’une dérogation.
Coûts parfois élevés
La phéromone de la société M2i attire les auxiliaires, notamment les coccinelles. Elle sera elle aussi disponible pour la prochaine campagne. Si son efficience n’a pas encore été confirmée dans le PNRI, elle continuera d’être évaluée dans la suite du programme de recherche. « Si son efficacité est démontrée, elle pourrait être combinée à l’implantation de bandes fleuries (solution mise de côté pour l’instant) pour attirer les auxiliaires venant des bandes, en mettant la phéromone au milieu de la parcelle », signale Fabienne Maupas.
Quant à l’efficacité du champignon Lecanicillium muscarium, elle n’a pas été attestée pour le moment. Toutefois, la piste sera encore creusée car, s’agissant de « vivant », il est nécessaire de mieux comprendre ses conditions de développement. Avec, pour le moment, 0 à 60 % d’efficacité, les lâchers de chrysopes des sociétés Iftech (sous forme d’œufs) et Koppert (larves) continueront d’être expérimentés dans le PNRI-C. « Avant que ce soit opérationnel, il faut aussi réduire drastiquement les coûts, aujourd’hui pléthoriques. Il y aura en outre toute la gestion logistique à régler : car acheminer des larves de chrysopes en bon état n’est pas simple », juge la spécialiste.
Si aucune solution pratique n’a vraiment été identifiée, on sait déjà que, pour venir à bout des pucerons, il faudra à l’avenir combiner les leviers. Malgré tout, on peut noter d’ores et déjà que la recherche sur les variétés (lire l’article ci-contre) a progressé. L’institut technique évalue également des produits phytos de synthèse, hors PNRI, celui-ci ne finançant pas des travaux sur des aphicides classiques. Des solutions en cours de développement pourraient ainsi arriver sur le marché, mais pas avant cinq ans.
« Nous sommes passés de “Tuons-les tous” à comment avoir un risque de virose sous un seuil de nuisibilité soutenable économiquement dans la plupart des cas », s’est félicité lors du colloque Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture à l’Inrae et coordinateur du comité de coordination technique du PNRI. Il a d’ailleurs rappelé que le PNRI a servi de base à la construction du Parsada (1).
(1) Plan d’action stratégique pour l’anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures.
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